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L’intelligence artificielle (IA) au service du bien-être équin : une révolution technique et éthique

L’intelligence artificielle (IA), en combinaison avec des capteurs biométriques, la vision par ordinateur et l’apprentissage automatique, offre aujourd’hui des outils puissants pour surveiller le bien-être équin en temps réel, évaluer l’impact des pratiques sportives et soutenir les décisions éthiques

Le bien-être des chevaux, en particulier dans les sports équestres, est aujourd’hui au cœur d’une transformation profonde. Face aux attentes sociétales croissantes et aux critiques sur les conditions d’entraînement et de compétition, des solutions technologiques de pointe sont mobilisées pour objectiver, prévenir et corriger les situations de mal-être animal. L’intelligence artificielle (IA), en combinaison avec des capteurs biométriques, la vision par ordinateur et l’apprentissage automatique, offre aujourd’hui des outils puissants pour surveiller le bien-être équin en temps réel, évaluer l’impact des pratiques sportives et soutenir les décisions éthiques. Au-delà de l’optimisation de la performance, il s’agit d’intégrer une nouvelle éthique des soins aux animaux fondée sur des données objectives, accessibles et interopérables.

 

La recherche appliquée : le projet LIA de l’Inrae

L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) a développé le projet LIA visant à déployer une IA capable d’évaluer le bien-être des chevaux montés. En recueillant des données sur la posture, les allures, la fréquence cardiaque et les réactions comportementales, cette IA permet de détecter précocement les signes de stress, d’inconfort ou de douleur, souvent imperceptibles pour l’œil humain. La finesse des mesures permet d’adapter les séances d’entraînement, de réduire les sursollicitations et d’éviter des situations à risque.

L’IA peut détecter avec une précision de près de 90 % les situations de confort ou d’inconfort chez un cheval monté, en se basant sur des photographies. Pour entraîner l’IA, les chercheurs ont utilisé un répertoire comportemental spécifique du cheval monté, étiquetant plusieurs centaines de photographies selon le niveau de confort ou d’inconfort observé. Les résultats ont montré que les images focalisées sur la tête du cheval offraient de meilleurs résultats, soulignant l’importance des expressions faciales comme indicateurs d’émotions. De plus, l’IA a identifié de nouveaux signaux, tels que des zones au-dessus des naseaux ou des positions d’encolure, jusqu’alors peu étudiés par les éthologues.

Les chevaux deviennent ainsi des “bio-indicateurs embarqués”, participant activement à leur propre protection via une lecture fine et continue de leur état. Cette démarche est aussi un levier d’amélioration des protocoles de formation des cavaliers, qui peuvent intégrer des données de rétroaction à visée pédagogique.

 

Compétition et IA : l’éthique par la donnée

Dans un article publié par Le Monde (mai 2025), des chercheurs présentent l’utilisation de l’IA pour suivre l’état physiologique des chevaux pendant les compétitions. L’analyse en temps réel de la fréquence cardiaque, des écarts de posture et des réactions comportementales permet de mieux comprendre l’impact du stress compétitif sur les chevaux, et de détecter les dérives ou les mauvaises pratiques.

Les organisateurs de concours hippiques, les juges et les fédérations disposent ainsi d’indicateurs objectifs pour ajuster les règlements, encadrer les pratiques d’échauffement et anticiper les incidents. L’IA devient un tiers de confiance, capable de documenter en toute neutralité les effets éventuels de certaines méthodes controversées (hyperflexion de l’encolure, enrênements contraignants, surmenage en indoor).

 

Une éthologie augmentée : IA et émotions équines

Une étude publiée dans Nature Scientific Reports en 2025 propose une approche inédite : l’analyse automatisée des émotions équines grâce à des modèles d’apprentissage profond. Les chercheurs ont développé un algorithme capable de reconnaître des états émotionnels à partir d’images de chevaux montés, en identifiant les micro-expressions et les tensions musculaires faciales.

Ce type de technologie permettrait de valider ou d’affiner les échelles comportementales comme la Horse Grimace Scale (HGS) ou le Qualitative Behavioral Assessment (QBA), en les complétant par une objectivation numérique des réactions émotionnelles. En ce sens, l’IA devient un outil au service de l’éthologie appliquée, facilitant la mise en place de protocoles de bientraitance plus individualisés.

Les chercheurs ont développé un algorithme IA capable de reconnaître des états émotionnels à partir d’images de chevaux montés, en identifiant les micro-expressions et les tensions musculaires faciales.

 

Une IA pour contrôler les dérives : vers une preuve recevable pour le bien-être animal ?

Un article de Horse Nation imagine un usage institutionnel de l’IA pour faire respecter les normes de bien-être. En analysant automatiquement les vidéos de compétitions, les données de surveillance des box ou d’entraînement, l’IA pourrait signaler les comportements abusifs ou les situations à risque.

Cette automatisation du contrôle bâtie sur des indicateurs validés scientifiquement permettrait aux autorités sanitaires et sportives d’agir avec rapidité et sans subjectivité, notamment dans les contextes internationaux où les dispositifs de régulation sont hétérogènes. On pourrait envisager des certifications “IA-welfare compliant” ou l’intégration de ces systèmes dans les chartes éthiques des équipes sportives professionnelles.

IA : En analysant automatiquement les vidéos de compétitions, les données de surveillance des box ou d’entraînement, l’IA pourrait signaler les comportements abusifs ou les situations à risque

Une base scientifique multidisciplinaire en plein essor

Parallèlement aux projets de terrain menés par l’Inrae ou les institutions sportives, un socle de publications scientifiques se développe à grande vitesse et structure une nouvelle discipline à l’intersection entre la médecine vétérinaire, la science des données et l’éthologie. Cette dynamique traduit un changement de paradigme où le bien-être équin devient un objet mesurable, modélisable et interconnecté. Plusieurs axes de recherche en témoignent.

  • Détection de la boiterie

Grâce à la combinaison de caméras haute fréquence, de capteurs inertiels (IMU) fixés sur les membres et de modèles de vision par ordinateur, des systèmes sont désormais capables de repérer les asymétries de locomotion à un stade préclinique. Ces dispositifs permettent une détection rapide des affections articulaires, musculaires ou tendineuses, réduisant ainsi le risque de chronicité et améliorant la prise en charge précoce des chevaux de sport.

Artificial Intelligence for Lameness Detection in Horses—A Preliminary Study

Convolutional neural network for early detection of lameness and irregularity in horses using an IMU sensor

IA : Grâce à la combinaison de caméras haute fréquence, de capteurs inertiels (IMU) fixés sur les membres et de modèles de vision par ordinateur, des systèmes sont désormais capables de repérer les asymétries de locomotion à un stade préclinique.

 

  • Reconnaissance automatique de la douleur

En s’appuyant sur la Horse Grimace Scale (HGS), des algorithmes d’apprentissage supervisé analysent les micro-expressions faciales (tension des lèvres, ouverture des narines, contraction orbitaire) pour identifier des états douloureux. Les résultats sont souvent plus fiables que les évaluations subjectives humaines, en particulier dans les contextes postopératoires ou lors d’examens vétérinaires à distance.

Towards Machine Recognition of Facial Expressions of Pain in Horses

Pain assessment in horses using automatic facial expression recognition through deep learning-based modeling

IA : des algorithmes d’apprentissage supervisé analysent les micro-expressions faciales (tension des lèvres, ouverture des narines, contraction orbitaire) pour identifier des états douloureux.

 

  • Surveillance comportementale continue

En intégrant des capteurs d’ambiance, des systèmes de vidéosurveillance intelligents et des objets connectés (colliers GPS, moniteurs de sommeil), les chercheurs construisent des profils comportementaux individualisés sur le long terme. Ces technologies sont particulièrement utiles dans les écuries, les refuges ou les structures de médiation équine où le suivi traditionnel est limité par le manque de personnel formé.

L’étude montre comment les algorithmes d’IA peuvent être formés pour reconnaître des signes subtils de douleur ou de stress qui ne sont pas visibles à l’œil nu. Cela passe aussi par l’analyse d’images étiquetées manuellement.

Une utilisation de l’IA a également été testée avec succès pour la surveillance automatisée en temps réel du stress des chevaux de police à l’aide d’une technologie portable.

  • L’IA comme outil de diagnostic

Dans un contexte plus large de la médecine vétérinaire, des outils d’IA sont utilisés pour diagnostiquer des affections chez les chevaux telles que des infections, des maladies cardiaques et des troubles musculo-squelettiques.

  • Analyse des états émotionnels

Des approches plus récentes exploitent l’IA pour décoder les états émotionnels des chevaux, à partir de variables faciales et posturales. Ces travaux élargissent le spectre du bien-être en y intégrant des dimensions affectives, telles que le stress, la frustration ou le contentement, jusqu’ici peu prises en compte dans les grilles d’évaluation classiques.

  • Interprétabilité et éthique des algorithmes

Le recours à l’IA explicable (XAI) permet de rendre compréhensibles les raisonnements des modèles utilisés. Cela favorise l’adhésion des professionnels de la filière (vétérinaires, comportementalistes, moniteurs d’équitation) qui peuvent alors croiser leur expertise de terrain avec les recommandations issues des données.

 

Enfin, cette dynamique scientifique soutient une évolution vers des standards internationaux de bien-être équin, harmonisés, auditables et compatibles avec les exigences des organismes de régulation ou de labellisation. En s’appuyant sur des mesures robustes, cette recherche contribue à poser les fondements d’une nouvelle gouvernance éthique dans le secteur équin, fondée non sur la présomption ou la subjectivité mais sur la traçabilité, la répétabilité et la transparence. À terme, la machine ne remplace pas le regard humain, mais l’augmente : elle capte ce que l’œil ne voit pas, anticipe ce que la main ne ressent pas encore et contribue à faire entendre ce que le cheval ne peut dire autrement. En attendant une IA miracle pour communiquer directement avec le cheval ?

L’intégration de l’intelligence artificielle dans les pratiques équestres ne se limite pas à l’innovation technique. Elle pourrait constituer un changement de paradigme éthique, en instaurant une forme de traduction technologique des signaux corporels et émotionnels du cheval. L’équitation de demain pourrait reposer sur ce triptyque : observation sensible, mesure objective et intervention précoce.

Un modèle où le respect du vivant et l’excellence sportive deviennent compatibles, grâce à la machine. Il est désormais crucial que les professionnels de la filière équine s’emparent de ces outils, non comme un outil de plus, mais comme un changement de posture dans la manière de considérer le cheval qui n’est plus un simple athlète, mais devient un partenaire sensible et communicant.

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