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Sports équestres : vers une révolution culturelle fondée sur le bien-être du cheval

L’un des apports centraux de l’ouvrage réside dans la notion de sport équestre respectueux du bien-être animal

Alors que la légitimité des sports équestres est régulièrement remise en question, un ouvrage récemment publié aux éditions CRC Press propose un changement profond dans la relation entre humains et chevaux. Dans Welfare Horse Sports : A Blueprint for Positive Change, la chercheuse britannique Lisa Ashton, spécialiste en sciences du comportement équin, appelle à un changement de pratiques fondé sur les données scientifiques, l’éthologie, la neuroscience et les aptitudes cognitives. Elle décrit un système équestre arrivé à un moment charnière de son histoire, où la simple modernisation des pratiques ne suffit plus : c’est l’ensemble de la culture sportive, des méthodes d’entraînement aux critères de performance, qui doit être repensé.

 

Une confiance du public fragilisée

Les sports équestres évoluent sous le regard de sociétés plus attentives au traitement réservé aux animaux. Les images de chevaux en hyperflexion, de harnachements trop serrés ou de comportements de stress lors des compétitions internationales ont alimenté une défiance croissante. Lisa Ashton s’appuie sur le concept “d’équilibre ponctué” pour décrire ces périodes de transition où des normes culturelles longtemps stables basculent soudainement sous l’effet de pressions externes. Selon elle, les sports équestres se trouvent précisément dans cette phase d’inflexion, contraints d’évoluer pour rester socialement acceptables. Elle souligne l’existence d’une tension persistante entre la tradition et les connaissances actuelles. Pendant des décennies, la performance sportive et la reproduction de gestes hérités d’enseignements anciens ont été privilégiées au détriment des avancées issues de l’éthologie, la neuroscience animale ou les sciences de l’apprentissage. Dans un contexte où le grand public attend davantage de transparence, la « culture du contrôle » ne peut plus constituer un socle suffisant.

 

Repenser l’équitation du point de vue du cheval

L’un des apports centraux de l’ouvrage réside dans la notion de sport équestre respectueux du bien-être animal (welfare horse sports mindset), que l’auteure présente comme la clé d’un changement de mentalités durable. Il ne s’agit pas d’ajouter des éléments de bien-être au sport, mais de construire ce sport autour du bien-être, en renversant l’ordre des priorités : il s’agit de cesser de se demander ce que le cheval doit faire pour être performant, en se demandant plutôt de quoi il a besoin pour se sentir en sécurité, confiant et capable d’apprendre. Cette approche repose sur une exigence de « désapprentissage ». Lisa Ashton invite cavaliers et entraîneurs à remettre en question des méthodes parfois mises en place depuis des générations. Elle montre comment des pratiques banales, comme le recours systématique à des aides contradictoires ou l’usage de contraintes mécaniques, peuvent se révéler incompatibles avec les connaissances issues des sciences comportementales. En s’appuyant sur les principes de l’International Society for Equitation Science, elle propose une vision qui prend en compte l’état émotionnel du cheval, sa motivation, ses besoins naturels et sa capacité à apprendre via des expériences positives. Le bien-être y est défini selon la perspective de Fraser : un état corporel et mental résultant de l’absence d’émotions négatives (peur, douleur, frustration) et de la présence d’émotions positives (joie, plaisir), influencé par la manière dont l’animal peut exprimer sa nature propre.

 

L’entraînement équestre sous le prisme des sciences de l’apprentissage

Le chapitre consacré à l’apprentissage équin remet en question un certain nombre de dogmes. Lisa Ashton insiste sur la nécessité de signaux clairs, non contradictoires, et sur l’importance de relâcher immédiatement la pression pour renforcer le comportement souhaité. Elle met en garde contre le phénomène d’overshadowing (masquage), lorsque plusieurs signaux donnés simultanément empêchent le cheval de comprendre ce qu’on attend de lui. Elle déconstruit également certaines formules classiques de l’enseignement équestre, comme la fameuse « jambe intérieure, rêne extérieure », montrant comment ces instructions peuvent devenir contre-productives si elles ne sont pas couplées à une véritable compréhension biomécanique et cognitive de l’animal. L’objectif est de démystifier l’équitation en la réconciliant avec les principes établis des sciences du comportement.

 

Le poids des traditions et la résistance au changement

L’un des passages les plus éclairants de l’ouvrage concerne les mécanismes sociaux qui perpétuent certaines pratiques, malgré les preuves scientifiques de leurs limites. Lisa Ashton explique que la conformité, la recherche de validation sociale, l’héritage culturel et les dynamiques de pouvoir au sein du milieu équestre contribuent à maintenir des comportements traditionnels. Cette inertie culturelle, comparable à celle observée dans d’autres sports ou secteurs professionnels, constitue un obstacle majeur à toute transition éthique. En mettant l’accent sur ces mécanismes, Lisa Ashton propose une grille de lecture permettant de comprendre pourquoi des gestes pourtant critiqués par la science, comme le maintien forcé de certaines postures, continuent d’être reproduits.

 

Les communautés de pratique, moteurs du changement

Le livre met en avant le rôle central des Communities of Practice, ces groupes de cavaliers, entraîneurs, vétérinaires ou chercheurs qui partagent des connaissances et expérimentent des méthodes fondées sur la science. Selon Lisa Ashton, ce sont ces collectifs, davantage que les recommandations fédérales, qui permettront une transformation durable. L’exemple du mouvement Leave Horses Better illustre cette dynamique : reconnaître les bonnes pratiques, célébrer les progrès, créer un environnement d’apprentissage bienveillant et structurer une culture équestre où le bien-être est une norme plutôt qu’une option. Cette logique, explique l’auteure, peut contribuer à rétablir la confiance du public envers les sports équestres.

 

Welfare Horse Sports ne plaide pas pour l’abolition de l’équitation, mais pour sa reconstruction autour de la notion de bien-être équin. L’auteure propose une conception selon laquelle l’équitation devient un sport responsable et respectueux, aligné sur les exigences éthiques et scientifiques contemporaines. Elle appelle à une gouvernance proactive, à la mise en place de critères d’évaluation centrés sur la qualité de vie du cheval et à l’usage d’outils pédagogiques accessibles, capables de relier les avancées scientifiques aux pratiques quotidiennes. L’avenir des sports équestres, affirme-t-elle, dépendra de la capacité de la filière à se réinventer et à replacer le cheval, ses émotions, ses besoins, au centre de son utilisation dans le sport. Un modèle où le bien-être équin est fondamental, et non plus optionnel.

 

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