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Comment monter un programme d’équithérapie qui tienne la route

La mise en place d’un programme sérieux d'équithérapie ne s’improvise pas. C’est ce que rappelle une fiche technique récemment publiée

Un peu partout, les chevaux quittent les terrains de sport ou de loisir pour entrer dans les hôpitaux, les établissements médico-sociaux, les foyers de l’enfance ou les structures d’insertion, avec au bout de la longe aussi bien des personnes spécialisées que d’autres qui ne connaissant peu ou pas les spécificités de l’assistance par le cheval, voire les équidés tout simplement.

 

Sous l’étiquette de services assistés par le cheval se développent des dispositifs où l’animal devient médiateur pour travailler l’équilibre, la motricité, l’estime de soi, la gestion des émotions, la communication. Mais derrière l’image d’un enfant qui sourit sur le dos d’un cheval ou d’un vétéran qui retrouve confiance en menant un cheval en longe, il y a une réalité plus prosaïque : la mise en place d’un programme sérieux ne s’improvise pas. C’est ce que rappelle une fiche technique récemment publiée par l’université de l’Utah, qui propose un guide très structuré pour lancer un programme de services assistés par le cheval.

Sous des accents très nord-américains, ce document met en lumière des enjeux universels : clarification des objectifs, choix des chevaux, infrastructures, responsabilité juridique, modèle économique, implication de la communauté, etc. Autant de questions qui se posent aussi en France, où l’équithérapie et les activités associées se développent rapidement, parfois plus vite que le cadre réglementaire.

 

De quoi parle-t-on exactement ?

L’équithérapie va de la simple activité éducative ou de développement personnel avec le cheval (équitation adaptée, médiation équine, coaching, etc.) à des actes thérapeutiques encadrés par des professionnels de santé (kinésithérapie, orthophonie, psychothérapie avec support animal).

La fiche de l’université de l’Utah insiste d’emblée sur ce point : tout part des objectifs. Souhaite-t-on travailler le développement des jeunes, offrir un soutien à un public spécifique (personnes en situation de handicap, jeunes placés, personnes âgées, vétérans) ou proposer de véritables interventions thérapeutiques prescrites par des médecins ou intégrées à un parcours de soins ? De la réponse découle tout le reste : les partenaires à mobiliser, les compétences professionnelles requises, le degré de responsabilité engagé, le financement, etc.

Ainsi, un programme orienté vers les jeunes pourra s’appuyer sur des associations éducatives, des établissements scolaires, des structures de la protection de l’enfance. Une offre de services thérapeutiques nécessitera des partenariats avec des hôpitaux, des services de rééducation, des centres de santé mentale, avec la présence obligatoire de professionnels diplômés. Entre les deux se situent des offres d’apprentissage et de cohésion sociale qui peuvent viser aussi bien des étudiants que des publics en insertion ou des salariés qui travaillent en équipe.

 

La question centrale : la responsabilité

Dès qu’un cheval et un public vulnérable sont mis en relation, la question de la responsabilité se pose. L’université américaine est très claire : il faut partir du principe que l’on travaille avec des animaux potentiellement dangereux et avec des personnes fragilisées. Cela signifie des contrats adaptés, des formulaires de consentement éclairé, un droit à l’image si le programme communique sur les réseaux sociaux, une gestion rigoureuse des informations de santé éventuellement collectées, qu’elles soient stockées sur papier ou sous forme numérique. Le document recommande expressément de travailler avec un juriste connaissant la responsabilité des milieux équestre et agricole.

Transposé au contexte français, cela renvoie à des questions similaires : lien avec les assurances, statut des intervenants (libéraux, salariés, bénévoles), conformité au règlement général sur la protection des données de santé, clarification du champ d’intervention (soins, accompagnement, activité éducative) pour éviter le flou entre équithérapie, psychothérapie ou simple animation.

Le cheval, partenaire sous responsabilité éthique

L’un des apports intéressants de la fiche est d’insister longuement sur le cheval lui-même. Trop de projets imaginent qu’il suffit de récupérer de bons chevaux de club à la retraite pour en faire des chevaux de médiation. Or, souligne le document, tous les chevaux de club, même “gentils”, ne sont pas adaptés à un travail avec des personnes vulnérables. Les qualités recherchées relèvent du tempérament du cheval (calme, patient, proche de l’humain), mais aussi de sa capacité à accepter des situations inhabituelles (cavalier déséquilibré, mouvements brusques, matériel médical, aides techniques, manifestations d’émotions).

À cela s’ajoutent des exigences de base en matière de soins au cheval. La fiche rappelle que la ferrure, les visites vétérinaires, les soins dentaires ne sont pas à négliger, et que le financement d’un programme doit intégrer ces coûts. Elle propose un garde-fou pragmatique : pas plus de trois heures de travail par jour et par cheval, un accès libre à l’eau et au foin, des périodes de repos et une surveillance de la charge émotionnelle imposée aux animaux. En filigrane se dessine un principe simple mais souvent oublié : un programme de médiation équine n’a de sens que s’il respecte d’abord le bien-être des animaux qui en sont la colonne vertébrale.

Des infrastructures sûres et accessibles

Autre idée forte du document : un programme de services assistés par le cheval nécessite des infrastructures sûres, fonctionnelles et accessibles, comme une carrière ou un paddock bien clôturé, avec un portail facile à manipuler, des zones abritées pour faire face aux intempéries, des toilettes et un accès pour les personnes à mobilité réduite. La fiche insiste sur l’importance des dispositifs de monte adaptés (escabeaux, rampes, voire lève-personnes pour certains publics), ainsi que sur le choix d’un matériel équestre correctement ajusté et identifiable pour chaque cheval.

Là encore, la transposition en France est directe : beaucoup de projets naissent dans de petites structures rurales qui ne sont pas aux normes d’accessibilité ou ne disposent pas de sanitaires adaptés. La question devient vite politique : qui finance la mise aux normes pour que des enfants appareillés, des adultes en fauteuil ou des personnes âgées puissent effectivement bénéficier de ces programmes ?

 

Sans équipe formée, pas de programme crédible

Dans un secteur où l’offre de services et les accréditations se multiplient, plusieurs “disciplines” sont distinguées. La psychothérapie assistée par le cheval doit être conduite par des professionnels de santé mentale diplômés, en partenariat avec un spécialiste du cheval. L’hippothérapie relève des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes ou des orthophonistes. L’équitation adaptée doit être encadrée par des enseignants formés selon des standards spécifiques. Autour de ce noyau de professionnels gravitent des acteurs essentiels (chefs de piste, accompagnateurs à pied, responsables d’écurie, coordinateurs des bénévoles). Il convient de définir clairement les rôles de chacun dans des fiches de mission, de prévoir la formation initiale et continue, des sessions de rappel sur la sécurité, les procédures d’urgence et la confidentialité.

En France, où les appellations “équithérapeute”, “praticien en médiation équine” ou “coach équin” ne correspondent pas toujours à des diplômes, certificats ou titres reconnus par l’État, ce rappel vaut une mise en garde : pour intervenir sur des problématiques de soins ou de santé mentale, la présence de professionnels diplômés reste une exigence éthique et juridique avant la création, un jour, d’un statut spécifique.

Un modèle économique à inventer

Le texte américain est réaliste : la plupart des programmes commencent doucement, avec un mélange de facturation aux bénéficiaires ou aux prescripteurs, de dons, de parrainages et de subventions. Il suggère de suivre avec rigueur quelques indicateurs de base (nombre de participants, liste d’attente, retours des bénéficiaires, témoignages, mesures simples d’évolution des compétences) afin de pouvoir constituer ensuite des dossiers de demande de financement argumentés. Le conseil peut sembler trivial, il est pourtant décisif. Sans données chiffrées, difficile de convaincre un financeur public ou privé que le programme produit une valeur sociale mesurable, qu’il s’agisse de maintien à domicile, de prévention des rechutes, de soutien à la scolarisation ou de développement de compétences psychosociales. La fiche encourage aussi les porteurs de projets à se former à la rédaction de plans et de demandes de subventions, ou à s’appuyer sur des associations expérimentées, pour ne pas épuiser leurs forces dans un militantisme sans modèle économique.

Monter le projet avec la communauté locale

Enfin, le document insiste sur un point souvent négligé : les programmes qui durent sont ceux qui sont coconstruits avec les acteurs locaux. Il invite à organiser des portes ouvertes, des visites, des démonstrations, à associer les écoles, les associations, les clubs sportifs, les entreprises, pour que le centre d’équithérapie et ses chevaux deviennent une ressource identifiée et soutenue, et non une structure isolée.

Cette logique de recherche d’adhésion de la communauté locale trouve un écho évident dans le contexte français : nombre de projets de médiation équine n’existent que parce que des maires, des conseils départementaux, des associations locales y voient un outil pour répondre à des besoins précis (rupture de l’isolement, inclusion des personnes handicapées, soutien aux aidants, remobilisation de jeunes en décrochage scolaire, etc.).

De la fiche pratique au débat de société

Au-delà de ses recommandations pragmatiques, la fiche de l’Utah State pose, en creux, une question plus large : quelle place veut-on donner, dans nos politiques publiques en matière de santé, de handicap, de vieillissement, d’insertion, à ces formes d’accompagnement qui passent par le vivant, le sensible, le non verbal ? Les services assistés par le cheval ne doivent pas être idéalisés ni présentés comme une solution miracle. Leur efficacité dépend de la qualité des équipes, du respect strict du bien-être animal, de la clarté des objectifs et des limites. Ils ne remplaceront ni un suivi psychiatrique, ni une prise en charge sociale structurée. Mais bien conçus, adossés à des professionnels formés et à une évaluation sérieuse, ils peuvent offrir un espace unique où des personnes fragilisées se découvrent capables d’influencer un animal puissant, d’établir une relation de confiance, de se redresser physiquement et psychiquement.

En ce sens, la fiche américaine est moins un mode d’emploi qu’un appel à la responsabilité : si l’on veut que ces programmes ne soient pas de simples vitrines ou une offre commerciale de plus, il faut les penser comme de véritables dispositifs de santé et d’éducation, avec tout ce que cela implique d’exigence, de moyens… et de politique publique.

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